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composée que de brigands qui n’étoient pourtant ni artistes ni philosophes ; sept Rois de suite leur donnèrent des loix ;. pendant plus de deux siecles ce peuple n’eut rien de bien distingué ; Romulus tua son frere & fut à son tour massacré par le Sénat ; Tarquin l’ancien périt par les coups des fils d’Ancus, sur lesquels il avoit usurpé la Couronne ; la fille de Servius Tullius, unie à Tarquin par un double assassinat, fit passer son char sur le corps de son pere égorgé par ses ordres ; on connaît la tyrannie de Tarquin & le forfait de fils : de grands crimes sont ce qu’il y a de plus mémorable dans ces premiers siecles.

Où étoit donc alors cette pureté de mœurs si surement enfantée par l’ignorance ? Rome irrité chassa Tarquin ; il fallut combattre long-tans, & ce ne fut qu’à force de courage, qu’elle vint à bout de se délivrer d’un tyran qui l’eût punie par le fer & le feu, s’il eût été vainqueur. L’extrême valeur naquit de l’extrême danger. Les Romains, peuple jusqu’alors assez commun, devinrent des héros, parce qu’il fallut périr ou l’être : Numance & Sagunte ont eu le malheur de succomber avec autant d’opiniâtreté & de courage : le succès justifia & éleva les Romains : de ces circonstances singulieres se forma en eux cet amour de la patrie, fanatisme héroïque qu’ils ont porté plus loin qu’aucun autre peuple du monde, & qui nous fait tant d’illusion sur leurs autres qualités.

Les commencemens de la République virent éclater de grandes vertus. Il en est de même dans la plupart des sociétés ; foibles d’abord & exposées à toutes sortes de dangers domestiques ou extérieurs, elles ont besoin que les vertus