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pas & tous ceux qui nous sont l’honneur de vivre avec nous, de nos miseres communes ?

Elle nous donne des laboureurs, des moissonneurs, des meuniers, des boulangers, & nous avons du pain en étendant la main : car elle nous donne aux de l’argent pour en acheter. Elle nous donne des tailleurs qui nous habillent, des cordonniers qui nous chaussent, des marchands de toutes fortes, des médecins, des hôpitaux, des prêtres qui nous baptisent, nous prêchent, nous absolvent, nous enterrent, & nous menent en paradis comme par la main.

Toute la société travaille pour chaque individu. Chaque métier & chaque art demande trente mains, trente arts & métiers, pour nous faciliter le moindre de nos besoins. Une épingle passe par trente mains, par trente laboratoires, avant que d’être une épingle, dont on en a cent pour un ou deux sous. Et les Sauvages de M. R. en ont-ils moins de travail, de servitude & de misere, pour avoir moins de société ? Il en ont bien davantage, puisqu’ils ont toutes celles dont nous délivre la société. Un simple petit miroir de deux liards pour nous, est pour eux un bijou, qui leur coûte bien des peaux de Castor, au profit de notre société.

Est-ce vivre, pour un homme quelconque, que de ne vivre que de glands & de racines, de méchantes herbes, que de se repaître de chair humaine, que de n’avoir pas une misérable couverture au milieu des frimats & des horreurs du Groënland & du Canada, que de n’avoir que de l’eau salée à boire, comme les Esquimaux, que de n’avoir ni foi, ni loi, ni religion, ni mœurs, ni instructions, ni connoissances, ni sciences,