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que complaisant à l’excès avec tout le monde, il me le donneroit enfin ; ce qu’il fit depuis la premiere jusqu’à la dixieme ou douzieme édition, & je le lus dans un esprit de critique, je l’avoue, mais de critique amie, & en vue même de rabattre bien des critiques odieuses qu’on ne laissoit pas de m’en faire comme si j’en étois responsable.

A peine m’eut-il donné son livre, qu’il vint de Bourdeaux exprès m’en demander mon sentiment. J’avouerai qu’il me craignoit un peu. Il me connoissoit exact & inflexible sur les bons principes de la religion & du gouvernement. Il se croyoit sain sur le premier article ; & effectivement, à un article près & à quelques manques d’expression, je ne vois pas qu’il attaque le dogme & l’essentiel. Mais sur le gouvernement de l’Etat, & celui sur-tout de l’église, sur la discipline, je le fis convenir qu’il étoit trop & tout Anglican.

Je portai mon humeur critique, je l’avouerai, un peu plus loin. Oui, j’étois vivement piqué qu’il m’eût dit que son livre, comme jurisconsulte, n’étoit pas de ma compétence. Autre chose est d’être jurisconsulte & légispérite dans un livre, autre chose de juger d’un livre qui l’est & de sou Auteur. Est-ce que les Magistrats sont de tous les arts, sciences & métiers, dont ils jugent pourtant fort sainement & définitivement tous les jours ?

Ma critique ne fut ni maligne, ni amere, ni de cœur, n’étant pas publique, mais d’amitié pure & purement d’esprit, de lui a moi, d’ami à ami, & dans le vrai bien du livre & de l’Auteur. Je ne m’amusai ni à des traits ni à des mots. J’allai droit au but, au tronc de l’arbre & à la grande division des trois