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Paris un grave opéra & une comédie, n’étoit cependant datée des petites maisons. Je n’y fis point de réponse, comme vous le croyez bien, & je priai M. Tronchin le médecin, de vouloir bien lui envoyer une ordonnance pour cette maladie. M. Tronchin me répondit, que puisqu’il ne pouvoit pas me guérir de la manie de faire encore des pieces de théâtre à mon âge, il désespéroit de guérir Jean-Jaques. Nous restâmes & l’un & l’autre fort malades, chacun de notre côté.

En 1762 le Conseil de Geneve entreprit sa cure, & donna une espece d’ordre de s’assurer de lui pour le mettre dans les remedes. Jean-Jaques décrété à Paris & à Geneve, convaincu qu’un corps ne peut être en deux lieux à la fois, s’ensuit dans un troisieme. Il conclut avec sa prudence ordinaire que j’étois son ennemi mortel, puisque je n’avois pas répondu à sa lettre obligeante. Il supposa qu’une partie du Conseil Genevois étoit venu dîner chez moi pour conjurer sa perte, & que la minute de son arrêt avoit été écrite sur ma table à la fin du repas. Il persuada une chose si vraisemblable à quelques-uns de ses concitoyens. Cette accusation devint si sérieuse, que je fus obligé enfin d’écrire au Conseil de Geneve une lettre très-forte, dans laquelle je lui dis que s’il y avoit un seul homme dans ce Corps qui m’eût jamais parlé du moindre dessein contre le sieur Rousseau, je consentois qu’on le regardât comme un scélérat & moi aussi ; & que je détestois trop les persécuteurs pour l’être.

Le Conseil me répondit par un secrétaire d’Etat que je n’avois jamais eu, ni dû avoir, ni pu avoir la moindre part, ni directement ni indirectement, à la condamnation du sieur Jean-Jaques.