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sans avoir encore pu le trouver. J’ai eu trois amis en toute ma vie, l’un m’a duré deux ans l’autre six semaines : ils ont cessé de m’aimer parce que je n’étois pas riche ; le troisieme qui n’est pas plus opulent que moi m’aime beaucoup ; & peut-être encore ces croit-il de m’aimer, si j’avois trop souvent besoin des preuves d’une sincere amitié.

Mais que j’aime votre réflexion, M. le Rapporteur, c’est celle que vous faites après avoir répété les lamentations de Rousseau. La voici : si pour le malheur de l’humanité, dites vous, l’homme qui tient ce langage es un fourbe ; pleurons, Monsieur, pleurons sur la perversité du cour humain ; rien n’est plus méprisable qu’un Protée qui se varie & se pervertit au gré de ses vues : ce que vous dites-là est fort éloquent, mais il me fait appercevoir que vous n’êtes pas bon connoisseur en espece humaine. Vous avez connu M. Rousseau à Montmorency : cette seule visite auroit dû vous apprendre pour toujours qu’il étoit incapable de duplicité & moins encore de lâcheté ; mais si vous eussiez eu de meilleurs yeux, vous auriez pu remarquer en même-tems qu’un excès de misanthropie est de tous les voisins de la folie, celui qui peut indiquer avec le plus de certitude sa demeure. Vous me reprocherez, peut-être, que je ne suis moi-même qu’un misanthrope, & que je ne vois personne ? La chose est bien différente, c’est que personne ne me veut voir, & que presque tous ceux que j’aborde, sur-tout depuis que l’on est scandalisé des procédés réciproques des deux Auteurs dont il est question, me soupçonnent d’être un esprit dangereux : pourquoi cela ? parce que je me mêle de barbouiller du papier, & de penser un peu plus creux que la foule des hommes.