Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t14.djvu/487

Cette page n’a pas encore été corrigée

refuser ; mais sa façon de penser sur le chapitre des bienfaits à recevoir, & qui lui est tout-à-fait particuliere, le plongeoit dans des embarras, qui, loin de nettoyer les idées ne sont que les embourber davantage. Rousseau, à la réception de la nouvelle que lui venoit d’annoncer M. Hume, s’étoit déjà gonflé de ressentiment contre celui-ci, & avoit déjà pris assez inconsidérément la résolution de ne plus avoir de commerce avec cet Anglois. Quand l’historien lui manda que l’affaire de sa pension étoit enfin terminée, le Genevois se trouva doublement embarrassé. Quoi ! se disoit-il, moi recevoir des bienfaits par la médiation d’un homme qui s’est uni avec ceux qui m’ont couvert de honte & d’opprobre ! d’un homme qui m’a réduit dans l’absolue nécessité de le haïr, ou sinon d’oublier son existence ! Non, J. J. Rousseau n’est point capable de pareille lâcheté ; lui vivre heureux à ce prix-là ! seroit dégénérer aux sentimens les plus délicats ; il vaut beaucoup mieux languir & périr même, que de couler ses jours dans l’opulence ; lorsque cette opulence seroit l’ouvrage d’un ennemi. Pourroit-il jouir paisiblement du plaisir d’être content, quand les échos de sa solitude lui répéteroient les discours que M. Hume tiendroit dans le public, en affichant de tous côtés que l’étranger à qui il a fait obtenir une retraite paisible & les bienfaits de Sa Magesté, n’est qu’un ingrat & le plus méchant de tous les hommes.

Voilà le nœud de la piece, passons au dénouement ; c’est un Genevois qui veut reculer pour mieux sauter ; il ne refuse point, mais, sous des prétextes assez équivoques, il élude seulement ce qu’il desire avec empressement : il veut suspendre,