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se trouve dans l’ostentation de faire du bien, & ensuite d’emboucher lui-même la trompette pour le publier.

Est-ce qu’un homme né sensible, humilié, ou avili par gens qui lui ont procuré quelques secours passagers, peut conserver pour d’indignes bienfaiteurs, cette reconnoissance parfaite qui s’étoit de prime abord logée dans son cœur à la réception des bienfaits ?

Sa reconnoissance en naissant étoit vraie, son ame en étoit pénétrée, son cœur en palpitoit de joie, elle croissoit à vue d’œil tant qu’il éprouvoit que la pratique du sentiment de bienfaisance le mettoit de niveau avec son bienfaiteur ; mais dès qu’il éprouve que le bienfait reçu ne lui a donné qu’un supérieur qui, par gradation, veut s’ériger en tyran de ses volontés & de ses actions, l’indignation, le remords & le repentir prennent la place de cette noble & sincere reconnoissance. L’un crie à l’ingrat, l’autre à la perfidie. Le premier a tort, le second a raison : mais est-il appuyé ? Non, tout au contraire, on se range du côté de l’opulent. On encense toujours le veau d’or. La guerre se déclare, les partis s’échauffent, le combat ne finit que par quelque scene scandaleuse.

Il est plus d’un exemple de ce que je viens d’alléguer. Je ne rapporterai que celui-ci.

Dans une ville dépendante de la Grande-Bretagne, arrive un homme qui n’étoit pas sans talens ; il joignoit à une conduite réglée l’amour des Belles- Lettres, & pouvoit tenir son coin dans la bonne société. Le fruit qu’il avoit tiré de ses voyages le faisoit distinguer dans la foule des voyageurs qui cherchent fortune ; enfin on se plaisoit à l’entendre & on aimoit