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pense, il démêle le fond d’orgueil qui nous fait parler ; & cependant il se tait par timidité, & n’ose répliquer ni se défendre. Pourquoi ? parce qu’il craint de perdre la suite des bons offices qu’il espere encore de notre part, & auxquels nous l’avons comme enchaîné par des promesses réitérées. Pourquoi les lui avons-nous faites ? parce que de prime abord nous n’appercevions en lui que l’homme de mérite, & que ses foiblesses & ses défauts nous étoient encore cachés ; cependant ces mêmes défauts n’étoient pas des vices, & n’émanoient que de ses infirmités corporelles, ou bien de la foiblesse de son tempérament. Mais on ne veut pas se donner la peine de creuser si avant ; ses prétendues imperfections ralentissent notre zele, & par degré nous portent à l’éloigner, pour ne pas être obligé à lui tenir parole. Il sent notre refroidissement : il feint de ne pas s’en appercevoir. Il se montre encore, mais si la raillerie piquante succede à l’austere morale, alors se croyant méprisé, il se dépite & se courrouce tout bas contre des procédés tout-à-fait indignes de l’honnête homme. S’il s’apperçoit que de premier objet qu’il étoit de nos sentimens vertueux, il est devenu celui de nos jeux de mots ou de nos mépris, son estime pour nous s’évapore, & si, avec cela, nous faisons chorus avec ceux qui se croyent en droit par leur fortune de se divertir à ses dépens, d’homme qu’il auroit été véritablement reconnoissant, il ne tient plus, à notre égard que la conduite que le ressentiment naturel inspire. D’un cœur disposé à la reconnoissance nous en avons fait un ingrat.

Voilà nos usages, & il paroît que M. Hume auroit cru dégénérer de sa qualité d’honnête homme, selon le monde,