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avec beaucoup plus d’indulgence les infortunés. Je ne dis pas que ce soit toujours l’ouvrage d’un mauvais cœur. Non, il est de très-bons caracteres qui se laissent entraîner par le torrent des mauvais exemples : d’autres ne sont en cela que ce que l’on leur a fait, ou que ce qu’ils voyent faire à gens en place ou accrédités. Je vais étendre ce tableau. Un homme de mérite, mais dépourvu des moyens ou du bien-être convenables à la pureté de ses mœurs, se montre, il étale à la fois une bonne conduite & une honnête industrie, ses talens lui méritent quelques égards, enfin quelqu’un se pique de l’obliger, on lui fait ou oui lui procure du bien ; voilà le chef-d’œuvre du sentiment qui honore l’humanité & sert en même tans la patrie. Cette action est noble & généreuse, elle nous approche beaucoup de la Divinité ; le diable en est jaloux, que fait-il ? Il nous fait, par orgueil, découvrir quelques foiblesses ou des défauts dans celui qui étoit l’objet de nos bonnes œuvres : nous oublions que nous n’en sommes pas exempts. Nous n’appercevons pas la poutre qui est dans notre œil, nous ne voyons que le fétu qui est dans la prunelle de notre prochain malheureux. Nous nous élevons au-dessus de lui par le dédain, par l’indifférence ou par une fausse pitié. Nous nous érigeons pédantesquement en censeurs de sa conduite & de ses mœurs, & souvent sans être bien informés de la constitution de son tempérament, nous baptisons les ravages d’une fievre lente ou d’une insomnie, de paresse & de négligence. Bientôt nous le moralisous : nous voulons le prêcher sur tout ce qui ne répond pas à ce que l’on voudroit exiger de lui. Nous attaquons sa délicatesse par l’endroit sensible : il en est humilié, il