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qui préféroient les douleurs de la nécessité aux secours généreux que leur offraient des hommes opulens, & qu’ils soupçonnoient ou trop orgueilleux, ou même trop remplis d’ostentation.

Je crois même entrevoir dans les procédés de J. J. Rousseau, que rien ne coûteroit plus à cet Auteur si célèbre que d’être obligé de montrer de la reconnoissance pour des services qui ne partiroient pas d’une ame véritablement loyale, ou d’une généralité qui ne seroit pas accomplie.

Un esprit inquiet, & aigri par de violens chagrins, peut aisément adopter des préjugés de cette espece ; on ne sauroit l’applaudir parce qu’il en est plus malheureux. Pour devenir ami véritable il faut être droit, né sensible & libéral, il faut que l’esprit soit orné & que l’ame ne soit point malade ; sans ces qualités essentielles à cimenter l’amitié, il n’est pas possible d’avoir un cour vraiment reconnoissant.

C’est peut-être parce que la plupart des bienfaiteurs ne connoissent pas assez les devoirs qui précédent les actes de bienfaisance & d’humanité, qu’il y a presqu’autant d’ingrats que de personnes obligées. Il est si ordinaire d’être bienfaiteur par ostentation ou par intérêt, qu’il est très-difficile, même en obligeant avec profusion, d’inspirer une véritable reconnoissance.

Sentir un bienfait, desirer de le reconnoître & de marquer avec joie l’obligation dont on est pénétré, voilà la reconnoissance, & voilà ce que toutes les premieres lettres de J. J. Rousseau à M. Hume expriment

parfaitement. Il reste à savoir si le cœur de ce Genevois en étoit véritablement pénétré ? Je