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torrent fougueux des mêmes passions qui les ont élevés. Que peut-on attendre de durable d’un principe plus déréglé & plus impétueux qu’une mer en fureur ? Dieu Tout-puissant, quand vous lasserez-vous de voir la nature entiere en proie à tant d’horreurs ? Je vois votre miséricorde s’attendrir sur l’état infortuné de la plus foible & de la moins coupable partie du genre-humain, le jouet & l’esclave de l’autre. Que fait votre sagesse infinie pour donner une face nouvelle à l’Univers ? Elle fait naître ces hommes rares, avec lesquels elle semble partager son essence ineffable. Source de lumiere, vous ouvrez vos trésors à ces ames choisies ; les Sciences, les Arts, l’urbanité, la raison & la justice, sortent du sein de ces génies créateurs, & se répandent sur la terre. Les hommes s’aiment, s’unissent, & sont des loix pour contenir ceux que le sort prive de ces lumieres, & que les passions gouvernent encore. La terre jouit d’une félicité qu’elle ne connoissoit point : elle est étonnée elle-même de ce prodige ; elle en déifie les Auteurs, & attribue à miracle l’effet naturel de la culture des Sciences & des Arts. Apollon est adoré comme un Dieu. Orphée est un homme divin dont les accords inspirent aux lions, aux tigres la douceur de d’agneau, dont l’art enchanteur anime & donne des sentimens d’admiration & de concorde aux arbres, aux rochers mêmes. Amphion n’est plus un Orateur savant & profond politique, qui par la forcé de son éloquence transforme les Thébains féroces & barbares en un Peuple doux, sociable & policé. C’est un demi-Dieu, qui par les accens magiques de sa lyre donne aux pierres mêmes le mouvement & l’intelligence nécessaires pour s’arranger elles-mêmes, & former