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ce célebre Ouvrage. Comme tout le monde ; j’ai été charme du style & de l’éloquence de l’Auteur ; mais j’ai cru trouver dans cette Piece plus d’art que de naturel, plus de vraisemblance que de réalité, plus d’agrément que de solidité ; en un mot, j’ai soupçonné que ce Discours étoit lui-même une preuve qu’on peut abuser des talens, & qu’on peut faire dégénérer l’art de développer la vérité, & de la rendre aimable, en celui de séduire & de faire passer pour vraies les propositions des plus paradoxes & même les plus fausses.

Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux, Qui par l’art embelli ne puisse plaire aux yeux.

Boil. Art Poet. Ch. 3.

Mais en même tems j’ai cru m’appercevoir que cet abus de l’art n’a pas tout le succès que lui promettent les apparences ; l’erreur se découvre à l’esprit attentif, sous les sophismes par lesquels on s’efforce de la revêtir du masque de la vérité, comme les mœurs artificieuses se trahissent elles-mêmes dans la contenance & les discours des hypocrites qu’on soupçonne & qu’on étudie. Néanmoins la grande défiance que j’ai de mes propres lumieres, fit que la lecture de l’éloquent Discours me mit dans une sorte de perplexité : quel parti prendre, me suis-je dit ? L’espérance de contribuer au bonheur