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Si l’Auteur a avancé sans fondement que cultiver les Sciences est abuser du tems, il n’a pas eu moins de tort d’attribuer le luxe aux Lettres & aux Arts. Le luxe est une somptuosité que sont naître les biens partagés inégalement. La vanité, à l’aide de l’abondance, cherche à se distinguer & procure à quelques Arts les moyens de lui fournir le superflu ; mais ce qui est superflu par rapport à certains états est nécessaire à d’autres, pour entretenir les distinctions qui caractérisent les rangs divers de la société. La religion même ne condamne point les dépenses qu’exige la décence de chaque condition. Ce qui est luxe pour l’artisan, peut ne pas l’être pour l’homme de robe ou l’homme d’épée. Dira-t-on que des meubles ou des habillemens d’un grand prix dégradent l’honnête homme & lui transmettent les sentimens de l’homme vicieux ? Caton le grand, solliciteur des loix somptuaires, suivant le remarque d’un politique, nous est dépeint avare & intempérant, même usurier & ivrogne ; au lieu que le somptueux Lucullus, encore plus grand capitaine & aussi juste que lui, fut toujours libéral & bienfaisant. Condamnons la somptuosité de Lucullus & de ses imitateurs ; mais ne concluons pas qu’il faille chasser de nos murs les Savans & les Articles. Les passions peuvent abuser des Arts ; ce sont elles qu’il faut réprimer. Les Arts sont le soutien des états ; ils réparent continuellement l’inégalité des fortunes, & procurent le nécessaire physique à la plupart des citoyens. Les terres, la guerre ne peuvent occuper qu’une partie de la nation : comment pourront subsister les autres sujets, si les riches craignent de dépenser, si la circulation des especes est suspendue par une