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respectable Prélat avoit sur moi. Madame la baronne de Warens voulut bien condescendre à la priere qu’il lui fit de prendre soin de mon éducation, & il ne dépendit pas de moi de témoigner à cette dame, par mes progrès, le desir passionné que j’avois, de la rendre satisfaite de l’effet de ses bontés de les soins.

Ce grand évêque ne borna pas là ses bontés, il me recommanda encore à M. le Marquis de Bonac, ambassadeur de France auprès du Corps Helvétique. Voilà les trois seuls protecteurs, à qui j’aye eu obligation du moindre secours ; il est vrai qu’ils m’ont tenu lieu de tout autre, par la maniere dont ils ont daigné me faire éprouver leur générosité. Ils ont envisagé en moi un jeune homme assez bien né, rempli d’émulation, & qu’ils entrevoyoient pourvu de quelques talens, & qu’ils le proposoient de pousser. Il me seroit glorieux de détailler à Son Excellence ce que ces deux seigneurs avoient eu la bonté de concerter pour mon établissement ; mais la mort de Monseigneur l’évêque de Geneve, & la maladie mortelle de M. l’ambassadeur, ont été la fatale époque du commencement de tous mes désastres.

Je commençai aussi moi-même, d’être attaqué de la langueur qui me met aujourd’hui au tombeau. Je retombai par conséquent à la charge de Madame de Warens, qu’il faudroit ne pas connoître pour croire qu’elle eût pu démentir ses premiers bienfaits, en m’abandonnant dans une si triste situation.

Malgré tout, je tâchai, tant qu’il me resta quelques forces, de tirer parti de mes foibles talens ; mais de quoi servent les talens dans ce pays ? Je le dis dans l’amertume de mon cœur,