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de la nation, borné à la simple existence : en sorte qu’on peut regarder le luxe comme une humeur jettée sur une très-petite partie du corps politique, qui fait la forcé & la santé du reste.

Mais, nous dit-on, les Arts amollissent le courage : on cite quelques peuples lettrés qui ont été peu belliqueux, tels que l’ancienne Egypte, les Chinois, & les Italiens modernes. Quelle injustice d’en accuser les Sciences ! Il seroit trop long d’en rechercher ici les causes. Il suffira de citer, pour l’honneur des Lettres, l’exemple des Grecs & des Romains, de l’Espagne, de l’Angleterre & de la France, c’est-à-dire, des nations les plus guerrieres & les plus savantes.

Des barbares ont fait de grandes conquêtes ; c’est qu’ils étoient très-injustes ; ils ont vaincu quelquefois des peuples policés. J’en conclurai, si son veut, qu’un peuple n’est pas invincible pour être savant. À toutes ces révolutions, j’opposerai seulement la plus vaste & la plus facile conquête qui ait jamais été faite ; c’est celle de l’Amérique que les Arts & les Sciences de l’Europe ont subjuguée avec une poignée de soldats ; preuve sans réplique de la différence qu’elles peuvent mettre entre les hommes.

J’ajouterai, que c’est enfin une barbarie passée de mode, de supposer que les hommes ne sont nés que pour se détruire. Les talens & les vertus militaires méritent sans doute un rang distingué dans l’ordre de la nécessité : mais la philosophie a épuré nos idées sur la gloire : l’ambition des Rois n’est à ses yeux que le plus monstrueux des crimes : graces aux vertus du Prime qui nous gouverne, nous osons célébrer la modération & l’humanité.