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depuis les Commis jusqu’aux Présidents des Conseils ? Faut-il moins de tems & d’expérience pour apprendre à conduire un Peuple que pour commander une armée ; les connoissances de l’homme d’Etat sont-elles plus faciles à acquérir que celles de l’homme de Guerre, ou le bon ordre est-il moins nécessaire dans l’économie politique que dans la discipline militaire ? Les grades scrupuleusement observés ont été l’école de tant de grands hommes qu’a produits la République de Venise, & pourquoi ne commenceroit-on pas d’aussi loin à Paris pour servir le prince, qu’à Venise pour servir l’Etat.

Je n’ignore pas que l’intérêt des Visirs s’oppose à cette nouvelle police : je sais bien qu’ils ne veulent point être assujettis à des formes qui gênent leur despotisme, qu’ils ne veulent employer que des créatures qui leur soient entièrement dévouées, & qu’ils puissent d’un mot replonger dans la poussière d’où ils les tirent. Un homme de naissance, de son côté, qui n’a pour cette foule de valets, que le mépris qu’ils méritent, dédaigne d’entrer en concurrence avec eux dans la même carriere, & le Gouvernement de l’Etat est toujours prêt à devenir la proie du rebut de ses citoyens. Aussi n’est-ce point sous le Visirat, mais sous la seule Polysynodie, qu’on peut espérer d’établir dans l’administration civile des grades honnêtes, qui ne supposent pas la bassesse, mais le mérite, et qui puissent rapprocher la noblesse des affaires dont on affecte de l’éloigner, & qu’elle affecte de mépriser à son tour.