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plutôt il ne sauroit les entendre, plus tard ton habitude est déjà prise, il ne sauroit les goûter.

Comment s’y prendre me direz-vous ? Que faire pour cultiver & développer ce sens moral ? Voilà, Madame, à quoi j’en voulois venir ; le goût de la vertu ne se prend point par des préceptes, il est l’effet d’une vie simple & saine ; on parvient bientôt à aimer ce qu’on fait, quand on ne fait que ce qui est bien. Mais pour prendre cette habitude, qu’on ne commence à goûter qu’après l’avoir prise, il faut un motif. Je vous en offre un que votre état me suggere : nourrissez votre enfant. J’entends les clameurs, les objections ; tout haut, les embarras, point de lait, un mari qu’on importune.... tout bas, une femme qui se gêne, l’ennui de la vie domestique, les soins ignobles, l’abstinence des plaisirs......Des plaisirs ? Je vous en promets & qui rempliront vraiment votre ame. Ce n’est point par des plaisirs entassés qu’on est heureux, mais par un état permanent qui n’est point composé d’actes distincts. Si le bonheur n’entre pour ainsi dire en dissolution dans notre ame, s’il ne fait que la toucher, l’effleurer par quelques points, il n’est qu’apparent, il n’est rien pour elle.

L’habitude la plus douce qui puisse exister, est celle de la vie domestique qui nous tient plus près de nous qu’aucune autre ; rien ne s’identifie plus fortement, plus constamment avec nous notre famille & nos enfans. Les sentimens que nous acquérons ou que nous renforçons dans ce commerce intime, sont les plus vrais, les plus durables, les plus solides qui puissent nous attacher aux êtres périssables, puisque la mort seule peut les éteindre, au lieu que l’amour & l’amitié vivent rarement