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je juge du rapport des autres cœurs avec le mien. Je conviens volontiers qu’on peut être plein d’honnêteté, de vertu, de sens, de raison, de goût, & trouver ce roman détestable ; quiconque ne l’aimera pas peut bien avoir part à mon estime, mais jamais à mon amitié. Quiconque n’idolâtre pas ma Julie, ne sent pas ce qu’il faut aimer ; quiconque n’est pas l’ami de St. Preux ne sauroit être le mien. D’après cet entêtement, jugez du plaisir que j’ai pris en lisant votre Gabrielle, d’y retrouver ma Julie un peu plus héroïquement requinquée, mais gardant son même naturel, animée peut-être d’un peu plus de chaleur, plus énergique dans les situations tragiques, mais moins enivrante aussi, selon moi, dans le calme. Frappé de voir dans des multitudes de vers, à quel point il faut que vous ayez contemplé cette image si tendre dont je suis le Pigmalion, j’ai cru sur ma règle ou sur ma manie, que la nature nous avoit faits amis ; & revenant avec plus d’incertitude aux vers de votre Bayard, j’ai résolu d’en parler avec ma franchise ordinaire, sauf à vous de me répondre ce qu’il vous plaira.

Monsieur du Belloy, je ne pense pas de l’honneur comme vous de la vertu, qu’il soit possible d’en bien parler, d’y revenir souvent par goût, par, choix, & d’en parler toujours d’un ton qui touche & remue ceux qui en ont, sans l’aimer, & sans en avoir soi-même : ainsi, sans vous connoître autrement que par vos pieces, je vous crois dans le cœur l’honneur d’un ancien Chevalier, & je vous demande de vouloir me dire, sans détour, s’il y a quelque vers dans votre Bayard dont en l’écrivant vous m’ayez voulu faire l’application. Dites-moi simplement oui ou non, & je vous crois.