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il est impossible qu’ils en reviennent. Ainsi, Monsieur, pour ne point m’exposer à de nouveaux orages, je me tiens au seul parti qui peut assurer le repos de mes derniers jours. J’aime la France ; je la regretterai toute ma vie ; si mon sort dépendoit de moi j’irois y finir mes jours, & vous seriez mon hôte, puisque vous n’aimez pas que j’aye un patron ; mais selon toute apparence mes vœux & mon cœur seront seuls le voyage, & mes os resteront ici.

Je n’ai pas eu, Monsieur, sur vos écrits l’indifférence de M. Hume, & je pourrois si bien vous en parler qu’ils sont avec deux traités de Botanique les seuls livres que j’aye apportés avec moi dans ma malle ; mais outre que je crois votre sublime amour-propre trop au-dessus de la petite vanité d’Auteur pour ne pas dédaigner ces formulaires d’éloges, je suis déjà trop loin de ces sortes de matieres pour pouvoir en parler avec justesse & même avec plaisir. Tout ce qui tient par quelque côté à la littérature & à un métier pour lequel certainement je n’étois pas né, m’est devenu si parfaitement insupportable, & son souvenir me rappelle tant de tristes idées, que pour n’y plus penser j’ai pris le parti de me défaire de tous mes livres, qu’on m’a très-mal à propos envoyés de Suisse : les vôtres & les miens sont partis avec tout le reste. J’ai pris toute lecture dans un tel dégoût qu’il a fallu renoncer à mon Plutarque. La fatigue même de penser me devient chaque jour plus pénible. J’aime à rêver, mais librement en bissant errer ma tête & sans m’asservir à aucun sujet ; & maintenant que je vous écris, je quitte à tout moment la plume pour vous dire en me promenant mille choses charmantes,