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est trop puissante, trop adroite, trop ardente, trop accréditée pour que dans ma position, sans autre appui que la vérité, je sois en état de lui faire face dans le public. Couper les têtes de cette hydre ne serviroit qu’à les multiplier, & je n’aurois pas détruit une de leurs calomnies, que vingt autres plus cruelles lui succéderoient à l’instant. Ce que j’ai à faire est de bien prendre mon parti sur les jugemens du public ; de me taire, & de tâcher au moins de vivre & mourir en repos.

Je n’en suis pas moins reconnoissant pour ceux que l’intérêt qu’ils prennent à moi, engage à m’instruire de ce qui se passe. En m’affligeant ils m’obligent ; s’ils me sont du mal c’est en voulant me faire du bien. Ils croient que ma réputation dépend d’une lettre injurieuse ; cela peut être : mais s’ils croient que mon honneur en dépend, ils se trompent. Si l’honneur d’un homme dépendoit des injures qu’on lui dit, & des outrages qu’on lui fait, il y a long-tems qu’il ne me resteroit plus d’honneur à perdre. Mais au contraire, il est même au-dessous d’un honnête homme de repousser de certains outrages. On dit que M. Hume me traite de vile canaille & de scélérat. Si je savois répondre à de pareils noms, je m’en croirois digne.

Montrez cette lettre à mes amis, & priez-les de se tranquilliser. Ceux qui ne jugent que sur des preuves, ne me condamneront certainement pas ; & ceux qui jugent sans preuves ne valent pas la peine qu’on les désabuse. M. Hume écrit, dit-on, qu’il veut publier toutes les pieces relatives à cette affaire. C’est, j’en réponds, ce qu’il se gardera de faire, ou ce qu’il se gardera bien au moins de faire fidellement. Que ceux qui seront au fait nous jugent, je le desire : que ceux qui ne