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une véhémence extrême : Je tiens J. J. Rousseau ! J’ignoré s’il veilloit ou s’il dormoit. L’expression est remarquable dans la bouche d’un homme qui sait trop bien le François pour se tromper sur la force & le choix des termes. Cependant je pris, & je ne pouvois manquer alors de prendre ces mots dans un sens favorable, quoique le ton l’indiquât encore moins que l’expression : c’est un ton dont il m’est impossible de donner l’idée, & qui correspond très-bien aux regards dont j’ai parlé. Chaque fois qu’il dit ces mots, je sentis un tressaillement d’effroi, dont je n’étois pas le maître ; mais il ne me fallut qu’un moment pour me remettre & rire de ma terreur. Dès le lendemain tout fut si parfaitement oublié, que je n’y ai pas même pensé durant tout mon séjour à Londres & au voisinage. Je ne m’en suis souvenu qu’ici où tant de choses m’ont rappellé ces paroles, & me les rappellent, pour ainsi dire, à chaque instant.

Ces mots dont le ton retentit sur mon cœur comme s’ils venoient d’être prononcés, les longs & funestes regards tant de fois lancés sur moi, les petits coups sur le dos avec des mots de mon cher Monsieur, en réponse au soupçon d’être un traître ; tout cela m’affecte à un tel point après le reste, que ces souvenirs, fussent-ils les seuls fermeroient tout retour à la confiance, & il n’y a pas une nuit où ces mots : Je tiens J. J. Rousseau, ne sonnent encore à mon oreille, comme si je les entendois de nouveau.

Oui, M. Hume, vous me tenez, je le sais, mais seulement par des choses qui me sont extérieures : vous me tenez par l’opinion, par les jugemens des hommes ; vous me tenez par