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qu’il dut trouver fort naturelle s’il étoit coupable, mais fort extraordinaire s’il ne l’étoit pas : car quoi de plus extraordinaire qu’une lettre pleine à la fois de gratitude sur ses services & d’inquiétude sur ses sentimens, & où, mettant, pour ainsi dire, ses actions d’un côté & ses intentions de l’autre, au lieu de parler des preuves d’amitié qu’il m’avoir données, je le prie de m’aimer à cause du bien qu’il m’avoit fait ? Je n’ai pas pris mes précautions d’assez loin pour garder une copie de cette lettre, mais, puisqu’il les a prises lui, qu’il la montre, & quiconque la lira, y voyant un homme tourmenté d’une peine secrete, qu’il veut faire entendre & qu’il n’ose dire, sera curieux, je m’assure, de savoir quel éclaircissement cette lettre aura produit, sur-tout à la suite de la scene précédente. Aucun, rien du tout. M. Hume se contente, en réponse, de me parler des soins obligeans que M. Davenport se propose de prendre en ma saveur. Du reste, pas un seul mot sur le principal sujet de ma lettre, ni sur l’état de mon cœur dont il devoit si bien voir le tourment. Je fus frappé de ce silence, encore plus que je ne l’avois été de son flegme à notre dernier entretien. J’avois tort, ce silence étoit sort naturel après l’autre, & j’aurois dû m’y attendre. Car quand on a osé dire en face à un homme : je suis tenté de vous croire un traître, & qu’il n’a pas la curiosité de demander sur quoi, l’on peut compter qu’il n’aura pareille curiosité de sa vie, & pour peu que les indices le chargent, cet homme est jugé.

Après la réception de sa lettre qui tarda beaucoup, je pris enfin mon parti, & résolus de ne lui plus écrire. Tout me confirma bientôt dans la résolution de rompre avec lui tout