Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/543

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme il me la faut. Le pays est humide & froid, ainsi les légumes ont peu de goût, le gibier aucun ; mais la viande y est excellente, le laitage abondant & bon. Le maître de cette maison la trouve trop sauvage & s’y tient peu. II en a de plus riantes qu’il lui préfere, & auxquelles je la préfere, moi, par la même raison. J’y, suis non-seulement le maître, mais mon maître, ce qui est bien plus. Point de grand village aux environs ; la ville la plus voisine en est à deux lieues : par conséquent peu de voisins désœuvrés. Sans le Ministre, qui m’a pris dans une affection singuliere, je serois ici dix mois de l’année absolument seul.

Que pensez-vous de mon habitation, Madame ? la trouvez-vous assez bien choisie, & ne croyez-vous pas que pour en préférer une autre il faille être ou bien sage ou bien fou ? Hé bien, Madame, il s’en prépare une peu loin du Biez, plus près du Tertre, que je regretterai sans celle, & où, malgré l’envie, mon cœur habitera toujours. Je ne la regretterois pas moins quand celle-ci m’offriroit tous les autres biens possibles, excepté celui de vivre avec ses amis. Mais au reste, après vous avoir peint le beau côté, je ne veux pas vous dissimuler qu’il y en a d’autres, & que, comme dans toutes les choses de la vie, les avantages y sont mêlés d’inconvéniens. Ceux du climat sont grands ; il est tardif & froid ; le pays est beau, mais triste ; la nature y est engourdie & paresseuse. À peine avons-nous déjà des violettes, les arbres n’ont encore aucunes feuilles, jamais on n’y entend de rossignols. Tous les signes du printems difparoissent devant moi. Mais ne gâtons pas le tableau vrai que je viens de faire : il est pris dans le point de vue où je veux