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cette différence, que l’un pèche contre les loix & expose doublement sa vie, au lieu que l’autre n’expose gueres que ses sujets ; qu’il use, en prenant les armes, d’un droit avoué de tout le genre-humain, & dont il prétend n’être comptable qu’à Dieu seul.

Un Prince qui met sa cause au hasard de la guerre, n’ignore pas qu’il court des risques ; mais il en est moins frappé que des avantages qu’il se promet, parce qu’il craint bien moins la fortune qu’il n’espère de sa propre sagesse : s’il est puissant, il compte sur ses forces ; s’il est foible, il compte sur ses alliances ; quelquefois il lui est utile au-dedans de purger de mauvaises humeurs, d’affoiblir des sujets indociles, d’essuyer même des revers, & le politique habile soit tirer avantage de ses propres défaites. J’espere qu’on se souviendra que ce n’est pas moi qui raisonne ainsi, mais le Sophiste de Cour qui préfere un grand territoire & peu de sujets pauvres & soumis, à l’empire inébranlable que donnent au Prince la justice & les loix, sur un peuple heureux & florissant.

C’est encore par le même principe qu’il réfute en lui-même l’argument tiré de la suspension du commerce, de la dépopulation, du dérangement des finances, & des pertes réelles que cause une vaine conquête. C’est un calcul très-fautif que d’évaluer toujours en argent les gains ou les pertes des Souverains ; le degré de puissance qu’ils ont en vue ne se compte point par les millions qu’on possede. Le Prince fait toujours circuler ses projets ; il veut commander pour s’enrichir & s’enrichir pour commander ; il sacrifiera tour-à-tour l’un & l’autre pour acquérir celui des deux qui lui manque, mais ce