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me sembloient autant de vrais Chrétiens, unis entre eux par la plus tendre charité. Qu’ils m’ont bien guéri d’une erreur si douce ! Mais enfin j’y étois alors, & c’étoit d’après mes idées que je jugeois du prix d’être admis au milieu d’eux.

Voyant que durant cette visite M. de M. ne me disoit rien sur mes sentimens en matiere de foi, je crus qu’il réservoit cet entretien pour un autre tems, & sachant combien ces Messieurs sont enclins à s’arroger le droit qu’ils n’ont pas de juger de la foi des Chrétiens, je lui déclarai que je n’entendois me soumettre à aucune interrogation ni à aucun éclaircissement quel qu’il pût être. Il me répondit qu’il n’en exigeroit jamais, & il m’a là-dessus si bien tenu parole, je l’ai toujours trouvé si soigneux d’éviter toute discussion sur la doctrine, que jusqu’à la derniere affaire il ne m’en a jamais dit un seul mot, quoiqu’il me soit arrivé de lui en parler quelquefois moi-même.

Les choses se passerent de cette sorte tant avant qu’après la Communion ; toujours même empressement de la part de M. de M. & toujours même silence sur les matieres théologiques. Il portoit même si loin l’esprit de tolérance & le montroit si ouvertement dans ses sermons, qu’il m’inquiétoit quelquefois pour lui-même. Comme je lui étois sincérement attaché, je ne lui déguisois point mes alarmes, & je me souviens qu’un jour qu’il prêchoit très-vivement contre l’intolérance des Protestans, je fus très-effrayé de lui entendre soutenir avec chaleur que l’Eglise réformée avoit grand besoin d’une réformation nouvelle, tant dans la doctrine que dans les mœurs. Je n’imaginois gueres alors qu’il fourniroit dans peu lui-même une si grande preuve de ce besoin.