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ou elle restera dans une réserve qui doit me servir de regle, & alors n’ayant point l’honneur d’être connu d’elle, de quel droit m’ingérer à lui donner des leçons ? La lettre ci-jointe est écrite dans cette vue & prépare les matieres dont nous aurons à traiter si ce texte lui agrée. Disposez de cette lettre, je vous supplie, pour la donner ou la supprimer selon qu’il vous paroîtra plus convenable.

En vérité, Monsieur, je suis enchanté de vous & de votre digne épouse. Qu’aimable & tendre doit être un mari qui peint sa femme sous des traits si charmans. Elle peut vous aimer trop pour votre repos, mais jamais trop pour votre mérite, ni vous, l’aimer jamais assez pour le sien. Je ne connois rien de plus intéressant que le tableau de votre union, & tracé par vous-même. Toutefois voyez que sans y songer vous n’ayez donné peut-être à sa délicatesse quelque raison particuliere de craindre votre éloignement. Monsieur, les cœurs sensibles sont faciles à blesser, tout les alarme, & ils sont d’un si grand prix qu’ils valent bien les peines qu’on prend à les contenter. Les soins amoureux de nouveaux époux bientôt se relâchent. Les témoignages d’un attachement durable, fondé sur l’estime & sur la vertu, sont moins frivoles & sont plus d’effet. Laissez à votre femme le plaisir de sacrifier quelquefois ses goûts aux vôtres, mais qu’elle voye toujours que vous cherchez votre bonheur dans le sien, & que vous la distinguez des autres femmes par des sentimens à l’épreuve du tems. Quand une fois elle sera bien convaincue de la solidité de votre attachement, elle n’aura pas peur que vous lui soyez enlevé par des folles. Pardon,