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Mais comment entreprendre un voyage aussi pénible, aussi long, dans l’état où je suis ? le soutiendrois-je ? me laisseroit-on passer ! Mille obstacles m’arrêteroient en allant ; l’air de la mer acheveroit de me détruire avant le retour ; je vous avoue que je desire mourir parmi les miens.

Vous pouvez être pressé : un travail de cette importance ne peut être qu’une affaire de très-longue haleine, même pour un homme, qui se porteroit bien. Avant de soumettre mon ouvrage à l’examen de la Nation & de ses Chefs, je veux commencer par en être content moi-même : je ne veux rien donner par morceaux : l’ouvrage doit être un ; l’on n’en sauroit juger séparément. Ce n’est déjà pas peu de chose que de me mettre en état de commencer ; pour achever cela va loin.

Il se présente aussi des réflexions sur l’état précaire où se trouve encore votre Isle. Je sais que sous un chef tel qu’ils l’ont aujourd’hui, les Corses n’ont rien à craindre de Gênes : je crois qu’ils n’ont rien à craindre non plus des troupes qu’on dit que la France y envoie ; & ce qui me confirme dans ce sentiment, est de voir un aussi bon patriote que vous me paroissez l’être, rester, malgré l’envoi de ces troupes, au service de la Puissance qui les donne. Mais, Monsieur, l’indépendance de votre pays n’est point assurée, tant qu’aucune Puissance ne la reconnoît ; & vous m’avouerez qu’il n’est pas encourageant pour un aussi grand travail, de l’entreprendre sans savoir s’il peut avoir son usage, même en le supposant bon.

Ce n’est point pour me refuser à vos invitations, Monsieur, que je vous fais ces objections, mais pour les soumettre à votre