Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/372

Cette page n’a pas encore été corrigée

à nul autre que lui. Si c’est de me guérir des erreurs où vous me jugez être, je vous remercie de vos bonnes intentions ; mais je n’en puis faire aucun usage, ayant pris depuis longtems mon parti sur ces choses-là. Ainsi, Monsieur, votre zele philosophique est à pure perte avec moi, & je ne serai pas plus votre prosélyte que votre missionnaire. Je ne condamne point vos façons de penser, mais daignez me laisser les miennes ; car je vous déclare que je n’en veux pas changer.

Je vous dois encore des remerciemens du soin que vous prenez dans la même lettre, de m’ôter l’inquiétude que m’a voient donné les premieres, sur les principes de la haute vertu dont vous faites profession. Si-tôt que ces principes vous paroissent solides, le devoir qui en dérive doit avoir pour vous la même force que s’ils l’étoient en effet ; ainsi, mes doutes sur leur solidité n’ont rien d’offensant pour vous. Mais je vous avoue que quant à moi de tels principes me paroîtroient frivoles ; & si-tôt que je n’en admettrois pas d’autres, je sens que dans le secret de mon cœur ceux-là me mettroient fort à l’aise sur les vertus pénibles qu’ils paroîtroient m’imposer. Tant il est vrai que les mêmes rairons ont rarement la même prise en diverses têtes, & qu’il ne faut jamais disputer de rien !

D’abord l’amour de l’ordre, en tant que cet ordre est étranger à moi, n’est point un sentiment qui puisse balancer en moi celui de mon intérêt propre ; une vue purement spéculative ne sauroit dans le cœur humain l’emporter sur les passions ; ce seroit, à ce qui est moi, préférer ce qui m’est étranger ; ce sentiment n’est pas dans la nature. Quant à l’amour de l’ordre dont je fais partie, il ordonne tout par rapport à moi ;