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disgraces. Il en coûte si peu d’accabler les malheureux, qu’on est presque toujours disposé à leur faire un crime de leur malheur.

Vous dites que vous ne comprenez rien à ma démarche : elle est pourtant aussi claire que la triste nécessité qui m’y a réduit. Flétri publiquement dans ma patrie, sans que personne ait reclamé contre cette flétrissure ; après dix mois d’attente, j’ai dû prendre le seul parti propre à conserver mon honneur si cruellement offensé. C’est avec la plus vive douleur que je m’y suis déterminé : mais que pouvois-je faire ? Demeurer volontairement membre de l’Etat après ce qui s’étoit passé, n’étoit-ce pas consentir à mon déshonneur ?

Je ne comprends point comment vous m’osez demander ce que m’a fait la Patrie. Un homme aussi éclairé que vous, ignore-t-il que toute démarche publique faite par le Magistrat, est censée faite par tout l’Etat, lors qu’aucun de ceux qui ont droit de la désavouer, ne la désavoue. Quand le Gouvernement parle, & que tous les Citoyens se taisent, apprenez que la Patrie a parlé.

Je ne dois pas seulement compte de moi aux Genevois, je le dois encore à moi-même, au public dont j’ai le malheur d’être connu, & à la postérité de qui je le serai peut-être. Si j’étois assez sot pour vouloir persuader au reste de l’Europe, que les Genevois ont désapprouvé la procédure de leurs Magistrats, ne s’y moqueroit-on pas de moi ? Ne savons-nous pas, me diroit-on, que la Bourgeoisie a droit de faire des représentations, dans toutes les occasions où elle croit les loix lésées & où elle improuve la conduite des Magistrats ? Qu’a-t-elle