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qu’un mot ; c’est que je donnerois la moitié des jours qui me restent pour y passer l’autre avec vous. Mais pour Colombier, ne comptez pas sur moi ; je vous aime, Mylord ; mais il faut que on séjour me plaise, & je ne puis souffrir ce pays-là.

Il n’y a rien d’égal à la position de Fréderic. Il paroît qu’il sent tous les avantages, & qu’il saura bien les faire valoir. Tout le pénible & le difficile est fait ; tout ce qui demandoit le concours de la fortune est fait. Il ne lui reste à présent à remplir que des soins agréables, & dont l’effet dépend de lui. C’est de ce moment qu’il va s’élever, s’il veut, dans la postérité un monument unique ; car il n’a travaillé jusqu’ici que pour son siecle. Le seul piége dangereux qui désormais lui reste à éviter, est celui de la flatterie ; s’il se laisse louer, il est perdu. Qu’il sache qu’il n’y a plus d’éloges dignes de lui que ceux qui sortiront des cabanes de ses paysans.

Savez-vous, Mylord, que Voltaire cherche à se racommoder avec moi ? Il a eu sur mon compte un long entretien avec M * * *, dans lequel il a supérieurement joué son rôle : il n’y en point d’étranger au talent de ce grand comédien, dolis instructus & arte pelasgâ. Pour moi, je ne puis lui promettre une estime qui ne dépend pas de moi : mais à cela près, je serai, quand il le voudra, toujours prêt à tout oublier. Car je vous jure, Mylord, que de toutes les vertus chrétiennes, il n’y en a point qui me coûte moins que le pardon des injures. Il est certain que si la protection des Calas lui a fait grand honneur, les persécutions qu’il m’a fait essuyer à Geneve, lui en ont peu fait à Paris ; elles y ont excité un cri universel d’indignation. J’y jouis, malgré mes malheurs, d’un honneur qu’il n’aura jamais