Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/320

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’entrée de la grotte est presque entiérement bouchée par les décombres, par les broussailles, & la crainte des serpens & des bêtes venimeuses rebute les curieux d’y vouloir pénétrer. Mais si elle eût été praticable encore & dans sa premiere beauté, & que Madame la Maréchale eût passé dans ce pays, je suis sûr qu’elle eût voulu voir cette grotte singuliere, n’eût ce été qu’en faveur de Fleur-d’Epine & des Facardins.

Plus j’examine en détail l’état & la position de ce vallon, plus je me persuade qu’il a jadis été sous l’eau que ce qu’on appelle aujourd’hui le Val-de-Travers fut autrefois un lac formé par la Reuse, la cascade & d’autres ruisseaux, & contenu par les montagnes qui l’environnent, de sorte que je ne doute point que je n’habite l’ancienne demeure des poissons. En effet, le sol du vallon est si parfaitement uni qu’il n’y a qu’un dépôt formé par les eaux qui puisse l’avoir ainsi nivelé. Le prolongement du vallon, loin de descendre, monte le long du cour de la Reuse, de sorte qu’il a fallu des tems infinis à cette riviere pour se caver dans les abymes qu’elle forme, un cours en sens contraire à l’inclinaison du terrain. Avant ces tems, contenue de ce côté de même que de tous les autres, & forcée de refluer sur elle-même, elle dut enfin remplir le vallon jusqu’à la hauteur de la premiere grotte que j’ai décrite, par laquelle elle trouva ou s’ouvrit un écoulement dans la galerie souterraine qui lui servoit d’aqueduc.

Le petit lac demeura donc constamment à cette hauteur jusqu’à ce que par quelques ravages, fréquens aux pieds des montagnes dans les grandes eaux, des pierres ou graviers embarrasserent tellement le canal que les eaux n’eurent plus un