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naturelle, dans la plus admirable position que j’aye jamais vue, & dont le difficile accès m’eût rendu l’habitation très-commode. J’en fus si tenté que des la premiere sois je m’étois presque arrangé avec le propriétaire pour y loger ; mais on m’a depuis tant dit de mal de cet homme, qu’aimant encore mieux la paix & la sureté qu’une demeure agréable, j’ai pris le parti de rester où je suis. La maison que j’occupe est dans une moins belle position, mais elle est grande, assez commode, elle a une galerie extérieure où je me promene dans les mauvais tems, & ce qui vaut mieux que tout le reste, c’est un asyle offert par l’amitié.

La Reuse a sa source au-dessus d’un village appellé St. Sulpice, à l’extrémité occidentale du vallon ; elle en sort au village de Travers à l’autre extrémité où elle commence à se creuser un lit qui devient bientôt précipice & la conduit enfin dans le lac de Neufchâtel. Cette Reuse est une très-jolie riviere, claire & brillante comme de l’argent, où les truites ont bien de la peine à se cacher dans des tousses d’herbes. On la voit sortir tout-d’un-coup de terre à sa source, non point en petite fontaine ou ruisseau, mais toute grande & déjà riviere comme la fontaine de Vaucluse, en bouillonnant à travers les rochers. Comme cette source est fort enfoncée dans les roches escarpées d’une montagne, on y est toujours à l’ombre ; & la fraîcheur continuelle, le bruit, les chûtes, le cours de l’eau m’attirant l’été à travers ces roches brûlantes, me sont souvent mettre en nage pour aller chercher le frais près de ce murmure, ou plutôt près de ce fracas, plus flatteur à mon oreille que celui de la rue St. Martin.