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portent aussi les titres de leurs maris, Madame la Conseillere, Madame la Ministre ; j’ai pour voisine Madame la Major ; & comme on n’y nomme les gens que par leurs titres, on est embarrassé comment dire aux gens qui n’ont que leur nom, c’est comme s’ils n’en avoient point.

Le sexe n’y est pas beau ; on dit qu’il a dégénéré. Les filles ont beaucoup de liberté & en sont usage. Elles le rassemblent souvent en société où l’on joue, où l’on goûte, où l’on babille, & où l’on attire tant qu’on peut les jeunes gens ; mais par malheur ils sont rares & il faut se les arracher. Les femmes vivent assez sagement ; il y a dans le pays d’assez bons ménages, & il y en auroit bien davantage si c’étoit un air de bien vivre avec son mari. Du reste vivant beaucoup en campagne, lisant moins & avec moins de fruit que les hommes, elles n’ont pas l’esprit fort orné, & dans le désœuvrement de leur vie elles n’ont d’autre ressource que de faire de la dentelle, d’épier curieusement les affaires des autres, de médire & de jouer. Il y en a pourtant de fort aimables ; mais en général on ne trouve pas dans leur entretien ce ton que la décence & l’honnêteté même rendent séducteur, ce ton que les Françoises savent si bien prendre quand elles veulent, qui montre du sentiment, de l’ame, & qui promet des héroïnes de roman. La conversation des Neufchâteloises est aride ou badine ; elle tarit si-tôt qu’on ne plaisante pas. Les deux sexes ne manquent pas de bon naturel, & je crois que ce n’est pas un peuple sans mœurs, mais c’est un peuple sans principes, & le mot de vertu y est aussi étranger ou aussi ridicule qu’en Italie. La religion dont ils se piquent sert plutôt