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ici du jargon, des airs, dans tous les états ; de beaux parleurs labourant les champs, & des courtisans en souquenille. Aussi appelle-t-on les Neufchâtelois les gascons de la Suisse. Ils ont de l’esprit & ils se piquent. de vivacité ; ils lisent, & la lecture leur profite ; les paysans mêmes sont instruits ; ils ont presque tous un petit recueil de livres choisis qu’ils appellent leur bibliothéque ; ils sont même-assez au courant pour les nouveautés ; ils sont valoir tout cela dans la conversation d’une maniere qui n’est point gauche, & ils ont presque le ton du jour comme s’ils vivoient à Paris. Il y a quelque tems qu’en me promenant, je m’arrêtai devant une maison où des filles faisoient de la dentelle ; la mere berçoit un petit enfant ; & je la regardois faire, quand je vis sortir de la cabane un gros paysan, qui m’abordant d’un air aisé me dit : vous voyez qu’on ne suit pas trop bien vos préceptes, mais nos femmes tiennent autant aux vieux préjugés qu’elles aiment les nouvelles modes. Je tombois des nues. J’ai entendu parmi ces gens-là cent propos du même ton.

Beaucoup d’esprit & encore plus de prétention, mais sans aucun goût, voilà ce qui m’a. d’abord frappé chez les Neufchâtelois. Ils parlent très-bien, très-aisément, mais ils écrivent platement & mal, sur-tout quand ils veulent écrire légèrement, & ils le veulent toujours. Comme ils ne savent pas même en quoi consiste la grace & le sel du style léger, lorsqu,’ils ont enfilé des phrases lourdement sémillantes, ils se croient autant de Voltaires & de Crébillons. Ils ont une manier& de journal dans lequel ils s’efforcent d’être gentils & badins. Ils y fourent même de petits vers de leur façon. Madame la Maréchale trouveroit,