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défians, jaloux, curieux, avares, & leur avarice contient plus leur luxe que ne fait leur simplicité. Ils sont ordinairement graves & flegmatiques, mais ils sont furieux dans la colere, & leur joie est une ivresse. Je n’ai rien vu de si gai que leurs jeux. Il est étonnant, que le peuple François danse, tristement, languissamment, de mauvaise grace, & que les danses suisses soient sautillantes & vives. Les hommes y montrent leur vigueur naturelle & les filles y ont une légéreté charmante : on diroit que la terre leur brûle les pieds.

Les Suisses sont adroits & rusés dans les affaires : les François qui les jugent grossiers sont bien, moins déliés qu’eux ; ils jugent de leur esprit par leur accent. La Cour de France a toujours voulu leur envoyer des gens fins & s’est toujours trompée. À ce genre d’escrime ils battent communément les François : mais envoyez-leur des gens droits & fermes, vous serez d’eux ce que vous voudrez, car naturellement ils vous aiment. Le Marquis de Bonnac qui avoit tant d’esprit, mais qui passoit pour adroit n’a rien fait en Suisse, & jadis le Maréchal de Bassompierre y faisoit tout ce qu’il vouloit, parce qu’il étoit franc, ou qu’il passoit chez eux pour l’être. Les Suisses négocieront toujours avec avantage, à moins qu’ils ne soient vendus par leurs magistrats, attendu qu’ils peuvent mieux se passer d’argent que les Puissances ne peuvent se passer d’hommes ; car pour votre bled, quand ils voudront ils n’en auront pas besoin. Il faut avouer aussi que s’ils sont bien leurs traités, ils les exécutent encore mieux, fidélité qu’on ne se pique pas de leur rendre.