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même ressource, sont plus pauvres d’argent, & ne vivent pas moins bien.

Il est fort singulier qu’un pays si rude & dont les habitans sont si enclins à sortir, leur inspire pourtant un amour si tendre que le regret de l’avoir quitté les y ramene presque tous à la fin, & que ce regret donne à ceux qui n’y peuvent revenir, une maladie quelquefois mortelle, qu’ils appellent, je crois, le Hemvé. Il y a dans la Suisse un air célébré appellé le Ranz-des-vaches, que les bergers sonnent sur leurs cornets & dont ils sont retentir tous les côteaux du pays. Cet air, qui est peu de chose en lui-même, mais qui rappelle aux Suisses milles idées relatives au pays natal, leur fait verser des torrens de larmes quand ils l’entendent en terre étrangere. Il en a même fait mourir de douleur un si grand nombre ; qu’il a été défendu par ordonnance du Roi de jouer le ranz-de -vaches dans les troupes Suisses. Mais, Monsieur le Maréchal, vous savez peut -être tout cela mieux que moi, & les réflexions que ce sait présente ne vous auront pas échappé. Je ne puis m’empêcher de remarquer seulement que la France est assurément le meilleur pays du monde, où toutes les commodités & tous les agrémens de la vie concourent au bien-être des habitans. Cependant il n’y a jamais eu, que je sache, de hemvé ni de ranz-des-vaches qui fît pleurer & mourir de regret un François en pays étranger, & cette maladie diminue beaucoup chez les Suisses depuis qu’on vit plus agréablement dans leur pays.

Les Suisses en général sont justes, officieux, charitables, amis solides, braves soldats & bons citoyens, mais intrigans,