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a pris dans cette affaire, mais des personnes qui, pour l’amour de moi, s’y trouvoient intéressées, &, qu’une fois arrêté, mon silence même, ne voulant pas mentir, eût compromises. Il a donc fallu fuir, cher M ***, & m’exposer, dans une retraite assez difficile, à toutes les transes des scélérats, laissant le Parlement dans la joie de mon évasion, & très-résolu de suivre la contumace aussi loin qu’elle peut aller. Ce n’est pas, croyez-moi, que ce Corps me haïsse & ne sente fort bien son iniquité. Mais voulant fermer la bouche aux dévots en poursuivant les Jésuites, il m’eût, sans égard pour mon triste état, fait souffrir les plus cruelles tortures ; il m’eût fait brûler vif avec aussi peu de plaisir que de justice, & simplement parce que cela l’arrangeoit. Quoi qu’il en soit, je vous jure, cher M ***, devant ce Dieu qui lit dans mon cœur, que je n’ai rien fait en tout ceci contre les loix ; que non-seulement j’étois parfaitement en regle, mais que j’en avois les preuves les plus authentiques ; & qu’avant de partir, je me suis défait volontairement de ces preuves pour la tranquillité d’autrui.

Je suis arrivé ici hier matin, & je vais errer dans ces montagnes jusqu’à ce que j’y trouve un asyle assez sauvage pour y passer en paix le reste de mes misérables jours. Un autre me demanderoit peut-être pourquoi je ne me retire pas à Geneve, mais, ou le connois mal mon ami M***, ou il ne me sera surement pas cette question ; il sentira que ce n’est point dans la patrie qu’un malheureux proscrit doit se réfugier ; qu’il n’y doit point porter son ignominie, ni lui faire partager ses affronts. Que ne puis-je dès cet instant y faire oublier ma memoire ! N’y donnez mon adresse à personne ; n’y parlez