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moyen de défense que j’entends employer, si l’on m’interroge ; est la recusation de mes Juges ; mais ce moyen ne les contentera pas ; car je vois que, tout plein de son pouvoir suprême, le Parlement a peu d’idée du droit des gens, & ne le respectera gueres dans un petit particulier comme moi. Il y a dans tous les Corps des intérêts auxquels la justice est toujours subordonnée, & il n’y a pas plus d’inconvénient à brûler un innocent au Parlement de Paris, qu’à en rouer un autre au Parlement de Toulouse. Il est vrai qu’en général les Magistrats, du premier de ces Corps aiment la justice, & sont toujours équitables & modérés quand un ascendant trop fort ne s’y oppose pas ; mais si cet ascendant agit dans cette affaire, comme il est probable, ils n’y résisteront point. Tels sont les hommes, cher M ***, telle est cette société si vantée ; la justice parle, & les passions agissent. D’ailleurs, quoique je n’eusse qu’à déclarer ouvertement la vérité des faits, ou, au contraire, à user de quelque mensonge pour me tirer d’affaire, même malgré eux ; bien résolu de ne rien dire que de vrai, & de ne compromettre personne, toujours gêné dans mes réponses, je leur donnerai le plus beau jeu du monde pour me perdre à leur plaisir.

Mais, cher M ***, si la devise que j’ai prise n’est pas un pur bavardage, c’est ici l’occasion de m’en montrer digne ; & à quoi puis-je employer mieux le peu de vie qui me reste ? De quelque maniere que me traitent les hommes, que me seront-ils que la nature & mes maux ne m’eussent bientôt fait sans eux ? Ils pourront m’ôter une vie que mon état me rend à charge, mais ils ne m’seront pas me liberté ; je la conserverai,