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tement tous mes goûts, toutes mes habitudes, je n’y aurois pas pu résister seulement trois mois. Enfin nous aurions eu beau nous rapprocher d’habitation, la distance restant toujours la même entre les états, cette intimité délicieuse qui fait le plus grand charme d’une étroite société, eût toujours manqué à la nôtre ; je n’aurois été ni l’ami, ni le domestique de Monsieur le Maréchal de Luxembourg ; j’aurois été son hôte ; en me sentant hors de chez moi, j’aurois soupiré souvent après mon ancien asyle, & il vaut cent fois mieux être éloigné des personnes qu’on aime, & desirer d’être auprès d’elles, que de s’exposer à faire un souhait opposé. Quelques degrés plus rapprochés eussent peut-être fait révolution dans ma vie. J’ai cent fois supposé dans mes rêves Monsieur de Luxembourg point Duc, point Maréchal de France, mais bon Gentilhomme de campagne, habitant quelque vieux château, & J. J. Rousseau point Auteur, point faiseur de livres, mais ayant un esprit médiocre & un peu d’acquis, se présentant au Seigneur châtelain & à la Dame, leur agréant, trouvant auprès d’eux le bonheur de sa vie, & contribuant au leur ; si pour rendre le rêve plus agréable, vous me permettiez de pousser d’un coup d’épaule le château de Malesherbes à demi-lieue de-là, il me semble, Monsieur, qu’en rêvant de cette maniere je n’aurois de long-tems envie de m’éveiller.

Mais c’en est fait ; il ne me reste plus qu’à terminer le long rêve ; car les autres sont désormais tous hors de saison ; & c’est beaucoup, si je puis me promettre encore quelques-unes des heures délicieuses que j’ai passées au château de Montmorenci. Quoi qu’il en soit me voilà tel que je me sens affecté,