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juges, leur petitesse & tous leurs vices, & je les haïrois bien davantage si je les méprisois moins. C’est avec ce sentiment que j’ai été comme entraîné au château de Montmorenci ; j’en ai vu les maîtres, ils m’ont aimé, & moi, Monsieur, je les ai aimés, & les aimerai tant que je vivrai de toutes les forces de mon ame : je donnerois pour eux, je ne dis pas ma vie, le don seroit foible dans l’état où je suis, je ne dis pas ma réputation parmi mes contemporains dont je ne me soucie gueres ; mais la seule gloire qui ait jamais touché mon cœur, l’honneur que j’attends de la postérité, & qu’elle me rendra parce qu’il m’est dû, & que la postérité est toujours juste. Mon cœur qui ne sait point s’attacher à demi, s’est donné à eux sans réserve, & je ne m’en repens pas, je m’en repentirois même inutilement, car il ne seroit plus tems de m’en dédire. Dans la chaleur de l’enthousiasme qu’ils m’ont inspiré, j’ai cent fois été sur le point de leur demander un asyle dans leur maison pour y passer le reste de mes jours auprès d’eux, & ils me l’auroient accordé avec joie, si même, à la maniere dont ils s’y sont pris, je ne dois pas me regarder comme ayant été prévenu par leurs offres. Ce projet est certainement un de ceux que j’ai médité le plus long-tems, & avec le plus de complaisance. Cependant il a fallu sentir à la fin malgré moi, qu’il n’étoit pas bon. Je ne pensois qu’à l’attachement des personnes sans songer aux intermédiaires qui nous auroient tenus éloignés, & il y en avoit de tant de sortes, sur-tout dans l’incommodité attachée à mes maux, qu’un tel projet n’est excusable, que par le sentiment qui l’avoit inspiré. D’ailleurs, la maniere de vivre qu’il auroit fallu prendre, choque trop direc-