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tes, & il est désormais démontré pour moi, par l’expérience, que l’état où je me suis mis est le seul où l’homme puisse vivre bon & heureux, puisqu’il est le plus indépendant de tous, & le seul où on ne se trouve jamais pour son propre avantage, dans la nécessité de nuire à autrui.

J’avoue que le nom que m’ont fait mes écrits, a beaucoup facilité l’exécution du parti que j’ai pris. Il faut être cru bon Auteur, pour se faire impunément mauvais copiste, & ne pas manquer de travail pour cela. Sans ce premier titre, on m’eût pu trop prendre au mot sur l’autre, & peut-être cela m’auroit-il mortifié ; car je brave aisément le ridicule, mais je ne supporterois pas si bien le mépris. Mais si quelque réputation me donne à cet égard un peu d’avantage, il est bien compensé par tous les inconvéniens attachés à cette même réputation, quand on n’en veut point être esclave, & qu’on veut vivre isolé & indépendant. Ce sont ces inconvéniens en partie qui m’ont chassé de Paris, & qui me poursuivant encore dans mon asyle, me chasseroient très-certainement plus loin, pour peu que ma santé vînt à se raffermir. Un autre de mes fléaux dans cette grande ville, étoit ces foules de prétendus amis qui s’étoient emparés de moi, & qui jugeant de mon cœur par les leurs, vouloient absolument me rendre heureux à leur mode, & non pas à la mienne. Au désespoir de ma retraite, ils m’y ont poursuivi pour m’en tirer. Je n’ai pu m’y maintenir sans tout rompre. Je ne suis vraiment libre que depuis ce tems-là.

Libre ! non, je ne le suis point encore ; mes derniers écrits ne sont point encore imprimés ; & vu le déplorable état de ma pauvre machine, je n’espere plus survivre à l’impression du re-