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s’agrandir pied-à-pied ? Il donne aux ennemis le moyen de s’unir pour résister ; le tems, l’argent & les hommes ne tarderont pas à lui manquer. Divisera-t-il les autres Puissances pour les vaincre l’une par l’autre ? Les maximes de l’Europe rendent cette politique vaine ; & le Prince le plus borné ne donneroit pas dans ce piége. Enfin, aucun d’eux ne pouvant avoir de ressources exclusives, la résistance est, à la longue, égale à l’effort & le tems rétablit bientôt les brusques accidens de la fortune, sinon pour chaque Prince en particulier, au moins pour la constitution générale.

Veut-on maintenant supposer à plaisir l’accord de deux ou trois Potentats pour subjuguer tout le reste ? Ces trois Potentats, quels qu’ils soient, ne feront pas ensemble la moitié de l’Europe. Alors l’autre moitié s’unira certainement contre eux ; ils auront donc à vaincre plus fort qu’eux-mêmes. j’ajoute que les vues des uns sont trop opposées à celles des autres, & qu’il regne une trop grande jalousie entr’eux, pour qu’ils puissent même former un semblable projet : j’ajoute encore que, quand ils l’auroient formé, qu’ils le mettroient en exécution, & qu’ils auroit quelques succès, ces succès mêmes seroient, pour les Conquérans alliés, des semences de discorde ; parce qu’il ne seroit pas possible que les avantages fussent tellement partagés, que chacun se trouvât également satisfait des siens ; & que le moins heureux s’opposeroit bientôt aux progrès des autres qui, par une semblable raison, ne tarderoient pas à se diviser eux-mêmes. Je doute que depuis que le monde existe, on ait jamais vu trois ni même deux grandes Puissances, bien unies, en subjuguer d’autres, sans