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Non, Diderot ; je sens que ce n’est pas par-là qu’il faut commencer. Je veux d’abord proposer à votre bon sens des préjugés plus simples, plus vrais, mieux fondés que les vôtres, dans lesquels je ne pense pas au moins que vous puis puissiez trouver de nouveaux crimes.

Je suis un méchant homme, n’est-ce pas ? Vous en avez les témoignages les plus sûrs ; cela vous est bien attesté. Quand vous avez commencé de l’apprendre, il y avoit seize ans que j’étois pour vous un homme de bien, & quarante ans que je l’étois pour tout le monde. En pouvez-vous dire autant de ceux qui vous ont communiqué cette belle découverte ? Si l’on peut porter à faux si long-tems le masque d’un honnête homme, quelle preuve avez-vous que ce masque ne couvre pas leur visage aussi bien que le mien ? Est-ce un moyen bien propre à donner du poids à leur autorité que de charger en secret, un homme absent, hors d’état de se défendre ? Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Je suis un méchant : mais pourquoi le suis-je ? Prenez bien garde, mon cher Diderot, ceci mérite votre attention. On n’est pas malfaisant pour rien. S’il y avoit quelque monstre ainsi fait, il n’attendroit pas quarante ans à satisfaire ses inclinations dépravées. Considérez donc ma vie, mes passions, mes goûts, mes penchans. Cherchez, si je suis méchant, quel intérêt m’a pu porter à l’être ? Moi qui, pour mon malheur, portai toujours un cœur trop sensible, que gagnerois-je à rompre avec ceux qui m’étoient chers ? À quelle place ai-je aspiré, à quelles pensions, à quels honneurs m’a-t-on vu prétendre, quels concurrens ai-je à écarter, que m’en peut-il revenir