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qui nous uniment pour nous détruire, & nous font écrire une si belle doctrine sociale avec des mains toujours teintes de sang humain.

Les causes du mal étant une fois connues, le remède, s’il existe, est suffisamment indiqué par elles. Chacun voit que toute société se forme par les intérêts communs ; que toute division naît des intérêts opposés ; que mille événemens fortuits pouvant changer & modifier les uns & les autres, dès qu’il y a société il faut nécessairement une force coactive, qui ordonne & concerte les mouvemens de ses membres, afin de donner aux communs intérêts & aux engagemens réciproques, la solidité qu’ils ne sauroient avoir par eux-mêmes.

Ce seroit d’ailleurs une grande erreur, d’espérer que cet état violent pût jamais changer par la seule force des choses, & sans le secours de l’art. Le systême de l’Europe a précisément le degré de solidité qui peut la maintenir dans une agitation perpétuelle, sans la renverser tout-à-fait ; & si nos maux ne peuvent augmenter, ils peuvent encore moins finir, parce que toute grande révolution est désormois impossible.

Pour donner à ceci l’évidence nécessaire, commençons par jetter un coup-d’œil général sur l’état présent de l’Europe. La situation des montagnes, des mers & des fleuves qui servent de bornes aux nations qui l’habitent, semble avoir décidé du nombre & de la grandeur de ces nations ; & l’on peut dire que l’ordre politique de cette partie du monde est, à certains égards, l’ouvrage de la nature.

En effet, ne pensons pas que cet équilibre si vanté ait été établi par personne, & que personne ait rien fait à dessein de