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un même droit des gens, par les mœurs, par les lettres, par le commerce, & par une sorte d’équilibre qui est l’effet nécessaire de tout cela ; & qui, sans que personne songe en effet à le conserver, ne seroit pourtant pu si facile à rompre que le pensent beaucoup de gens.

Cette société des Peuples de l’Europe n’a pas toujours existé, & les causes particulieres qui l’ont fait naître servent encore à la maintenir. En effet, avant les conquêtes des Romains, tous les Peuples de cette partie du monde, barbares & inconnue les uns aux autres, n’avoient rien de commun que leur qualité d’hommes, qualité qui, ravalée alors par l’esclavage, ne différoit gueres dans leur esprit de celle de brute. Aussi les Grecs, raisonneurs & vains, distinguoient-ils, pour ainsi dire, deux espèces dans l’humanité : dont l’une, savoir la leur, étoit faite pour commander ; & l’autre, qui comprenoit tout le reste du monde, uniquement pour servir. De ce principe il résultoit qu’un Gauloix ou un Ibére n’étoit rien de plus pour un Grec que n’eût été un Caffre ou un Américain ; & les Barbares eux-mêmes n’avoient pas plus d’affinité entre eux que n’en avoient les Grecs avec les une & les autres.

Mais quand ce Peuple, souverain par nature, eut été soumis aux Romaine ses esclaves, & qu’une partie de l’hémisphere connu eut subi le même joug, il se forma une union politique & civile entre tous les membres d’un même Empire ; cette union fut beaucoup resserrée par la maxime, ou très-sage ou très-insensée, de communiquer aux vaincus tous les droits des vainqueurs, & surtout par le fameux décret de Claude, qui incorporoit tous les sujets de Rome au nombre de ses citoyens.