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Comme admirateur de l’un & de l’autre, je ne puis gueres être suspect de préjugés en parlant d’eux. Je ne vous crois pas dans le même cas. Je suis peu surpris que vous donniez au second tout l’avantage. Vous n’avez pas assez fait connoissance avec l’autre, & vous n’avez pas pris assez de soin pour dégager ce qui est vraiment à lui, de ce qui lui est étranger & qui le défigure à vos yeux, comme à ceux de bien d’autres gens qui, selon moi, n’y ont pas regardé de plus près que vous. Si Jésus fût né à Athenes & Socrate à Jérusalem, que Platon & Xénophon eussent écrit la vie du premier, Luc & Matthieu celle de l’autre, vous changeriez beaucoup de langage, & ce qui lui fait tort dans votre esprit, est précisément ce qui rend son élévation d’ame plus étonnante & plus admirable, savoir, sa naissance en Judée chez le plus vil peuple qui peut-être existât alors, au lieu que Socrate, né chez le plus instruit & le plus aimable, trouva tous les secours dont il avoit besoin pour s’élever aisément au ton qu’il prit. Il s’éleva contre les Sophistes comme Jésus contre les Prêtres, avec cette différence que Socrate imita souvent ses antagonistes, & que si sa belle & douce mort n’eût honoré sa vie, il eût passé pour un sophiste comme eux. Pour Jésus, le vol sublime que prit sa grande ame l’éleva toujours au-dessus de tous les mortels, & depuis l’âge de douze ans jusqu’au moment qu’il expira dans la plus cruelle ainsi que dans la plus infâme de toutes les morts, il ne se démentit pas un moment. Son noble projet étoit de relever son peuple, d’en faire derechef un peuple libre & digne de l’être ; car c’étoit par-là qu’il falloit commencer. L’étude profonde qu’il fit de la loi de Moïse, ses