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le calme s’y peint si ravissante, n’y perdra-t-elle rien de ses charmes & ne s’y ternira-t-elle point au milieu des flots ? Ecartons la supposition décourageante & terrible des périls qui peuvent tenter la vertu mise au désespoir. Supposons seulement qu’un cœur trop sensible brûle d’un amour involontaire pour la fille ou la femme de son ami, qu’il soit maître de jouir d’elle entre le Ciel qui n’en voit rien, & lui qui n’en veut rien dire à personne ; que sa figure charmante l’attire ornée de tous les attraits de la beauté & de la volupté ; au moment où ses sens enivrés sont prêts à se livrer à leurs délices, cette image abstraite de la vertu viendra-elle disputer son cœur à l’objet réel qui le frappe ? Lui paroîtra-t-elle en cet instant la plus belle ? L’arrachera-t-elle des bras de celle qu’il aime pour se livrer à la vaine contemplation d’un fantôme qu’il fait être sans réalité ? Finira-t-il comme Joseph, & laissera-t-il son manteau ? Non, Monsieur, il fermera les yeux, & succombera. Le croyant, direz-vous, succombera de même. Oui, l’homme foible ; celui, par exemple, qui vous écrit : mais donnez-leur à tous deux le même degré de force, & voyez la différence du point d’appui.

Le moyen, Monsieur, de résister à des tentations violentes quand on peut leur céder sans crainte, en se disant, à quoi bon résister ? Pour être vertueux le philosophe a besoin de l’être aux yeux des hommes : mais sous les yeux de Dieu le juste est bien fort. Il compte cette vie & ses biens & ses maux & toute sa gloriole pour si peu de chose ! il apperçoit tant au-delà ! Force invincible de la vertu, nul ne te connoît que celui qui sent tout son être, & qui fait qu’il n’est pas au