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bien né. Sa probité, sa bienfaisance ne sont point l’ouvrage de ses principes, mais celui de son bon naturel. Il cede à ses penchans en pratiquant la justice, comme le méchant cede aux liens en pratiquant l’iniquité. Contenter le goût qui nous porte à bien faire est bonté, mais non pas vertu.

Ce mot de vertu signifie force. Il n’y a point de vertu sans combat, il n’y en a point sans victoire. La vertu ne consiste pas seulement à être juste, mais à l’être en triomphant de ses passions, en régnant sur son propre cœur. Titus rendant heureux le peuple romain, versant par-tout les grâces & les bienfaits, pouvoir ne pas perdre un seul jour & n’être pas vertueux : il le fut certainement en renvoyant Bérénice. Brutus faisant mourir ses enfans pouvoit n’être que juste. Mais Brutus étoit un tendre pere ; pour faire son devoir il déchira entrailles, & Brutus fut vertueux.

Vous voyez ici d’avance la question remise à son point. Ce divin simulacre dont vous me parlez s’offre à moi sous une image qui n’est pas ignoble, & je crois sentir à l’impression que cette image fait dans mon cœur la chaleur qu’elle est capable de produire. Mais ce simulacre enfin n’est encore qu’une de ces entités métaphysiques dont vous ne voulez pas que les hommes se fassent des Dieux. C’est un pur objet de contemplation. Jusqu’où portez-vous l’effet de cette contemplation sublime ? Si vous ne voulez qu’en tirer un nouvel encouragement pour bien faire, je suis d’accord avec vous : mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Supposons votre cœur honnête en proie aux passions les plus terribles, dont vous n’êtes à l’abri, puisqu’enfin vous êtes homme. Cette image qui dans