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Cependant je crois que Dieu s’est suffisamment révélé aux hommes & par ses œuvres & dans leurs cœurs, & s’il y en a qui ne le connoissent pas, c’est selon moi, parce qu’ils ne veulent pas le connoître, ou parce qu’ils n’en ont pas besoin.

Dans ce dernier cas est l’homme sauvage & sans culture qui n’a fait encore aucun usage de sa raison, qui, gouverné seulement par ses appétits n’a pas besoin d’autre guide, & qui ne suivant que l’instinct de la nature, marche par des mouvemens toujours droits. Cet homme ne connoît pas Dieu, mais il ne l’offense pas. Dans l’autre cas au contraire est le philosophe, qui, à force de vouloir exalter son intelligence, de rafiner, de subtiliser sur ce qu’on pensa jusqu’à lui, ébranle enfin tous les axiomes de la raison simple & primitive, & pour vouloir toujours savoir plus & mieux que les autres, parvient à ne rien savoir du tout. L’homme à la fois raisonnable & modeste, dont l’entendement exercé, mais borné, sent ses limites s’y renferme, trouve dans ces limites la notion de son ame & celle de l’Auteur de son être, sans pouvoir passer au-delà pour rendre ces notions claires, & contempler d’aussi près l’une & l’autre que s’il étoit lui-même un pur esprit, Alors saisi de respect il s’arrête & ne touche point au voile, content de savoir que l’Etre immense est dessous. Voilà jusqu’où la philosophie est utile à la pratique. Le reste n’est plus qu’une spéculation oiseuse pour laquelle l’homme n’a point été sait, dont le raisonneur modéré s’abstient, & dans laquelle n’entre point l’homme vulgaire. Cet homme qui n’est ni une brute ni un prodige est l’homme proprement dit, moyen entre les deux extrêmes, & qui compose les dix-neuf vingtièmes du genre