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douces parce qu’il aime à jouir. Dans les situations pénibles il n’y pense que quand elles l’y forcent ; tous les momens qu’il peut leur dérober sont donnes à ses rêveries ; il sait se soustraire aux idées déplaisantes & se transporter ailleurs qu’ou il est mal. Occupe si peu de ses peines, comment le seroit-il beaucoup de ceux qui les lui sont souffrir ? Il s’en venge en n’y pensant point non par esprit de vengeance, mais pour se délivrer d’un tourment. Paresseux & voluptueux, comment seroit-il haineux & vindicatif ? Voudroit -il changer en supplices ses consolations ses jouissances & les seuls plaisirs qu’on lui laisse ici-bas ? Les hommes bilieux & mechans ne cherchent la retraite que quand ils sont tristes, & la retraite les attriste encore plus. Le levain de la vengeance fermente dans la solitude par le plaisir qu’on prend à s’y livrer ; mais ce triste & cruel plaisir dévore & consume celui qui s’y livre ; il le rend inquiet actif intrigant : la solitude qu’il cherchoit fait bientôt le supplice de son cœur haineux & tourmente, il n’y goûte, point cette aimable incurie, cette douce nonchalance qui fait le charme des vrais solitaires, sa passion animée par ses chagrines réflexions cherche à se satisfaire, & bientôt quittant sombre retraite il court attiser dans le monde le feu dont il veut consumer son ennemi. S’il sort des écrits de la main d’un tel solitaire, ils ne ressembleront surement ni à l’Emile ni à l’Heloise, ils porteront, quelque art qu’emploie l’auteur a se déguiser, la teinte de la bile amere qui les dicta. Pour J. J. les fruits de sa solitude attestent les sentimens dont il s’y nourrit ; il eut de l’humeur tant qu’il vécut dans le monde, il n’en eut plus aussi-tôt qu’il vécut seul.